Jeff Guilbault, directeur des ventes de Getty Images en France : "Getty a commercialisé 23 millions d'images en 2010".
Le marché des contenus numériques, dont la photographie fait partie, se développe à travers des plateformes de vente en ligne dont Getty Images reste l’emblématique leader depuis plus de quinze ans. Souvent accusé par les photographes d’avoir affaibli les agences françaises, puis avoir conduit le marché de la photo d’illustration sur la voie d’une dérégulation totale en introduisant la photo « low cost » via le « Libres de droit », Getty Images est aussi l’entreprise qui par sa stratégie planétaire définit le marché de l’image de demain. C’est aussi l’entreprise qui emploie le plus important contingent de photographes professionnels à travers le monde. Vision de ce marché qui explose, avec un homme clé de l’entreprise, Jeff Guilbault, directeur des ventes de Getty Images en France.
Que représente Getty Images en 2011 ?
Les derniers chiffres publics concernant Getty Images remontent à 2007, car depuis la rachat de l’entreprise par le fond d’investissement Hellman & Friedman ces chiffres restent confidentiels. En 2007, lorsque le groupe était coté en bourse et avait obligation de communiquer ses données financières, Getty Images générait un CA de 850 millions de dollars (sur un marché mondial BtoB évalué à 2,3 milliards de dollars cette année là). Depuis cette époque, notre croissance mondiale est essentiellement portée par les volumes avec une explosion des usages professionnels. Si l’ADN de Getty reste la photographie vendue à des usagers professionnels, notre univers s’est étendu depuis dix ans à tous les contenus numériques, visuels et maintenant audio. D’ailleurs la vidéo prend une part de plus en plus forte dans notre activité.
Qui sont vos clients ?
Notre clientèle est diversifiée. Nous avons trois grands débouchés en matière de clientèle : les agences de publicité et de communication, le corporate, c’est-à-dire les entreprises en direct et les médias au sens large (presse papier/en ligne, groupes audiovisuels, éditeurs papier et web). Nous sommes portés aujourd’hui par les développements numériques chez nos clients… ça bouleverse énormément la façon dont ils se servent de nos contenus.
Poussés par la consommation des photos « low cost », les plates-formes de distribution ne sont-elles pas en train de tirer le marché vers la bas ?
On aurait pu le craindre, ce que l’on constate c’est que c’est exactement le contraire. Ce que l’on observe c’est que l’introduction d’une offre « low cost » sur un marché, quel qu’il soit, se traduit toujours par une explosion de la demande et une bipolarisation du business : d’un côté des photos à prix abordable de l’autre des photos non reproductibles dont la valeur augmente considérablement. Il nous semble que la règle est de reconnaître que ce marché est en expansion en termes de valeur — et donc de l’accepter et l’accompagner plutôt que de résister— et de constater que le marché est devenu global. Ce n’est pas un scoop, mais aujourd’hui il faut avoir une dimension internationale. Pour vous donner une idée sur le secteur photo, sachez qu’en 2005 Getty avait 200 000 clients pour 1,3 million d’images vendues; en 2010 nous avons servis 1,3 million de clients et commercialisés 23 millions d’images ! Au global, notre chiffre d’affaire progresse.
Mais ce phénomène ne provoque-t’il pas une baisse considérable du prix moyen des images… ?
Pour vous donner une échelle qui illustre cette bipolarisation et que le prix moyen a de moins en moins de sens sur notre marché … aujourd’hui vous pouvez acheter une image chez nous de 22 centimes d’euros à quinze millions de dollars… Alors parle-t-on du prix d’une image au sein d’un abonnement, ou parle-t-on d’un portrait de célébrité en exclusivité mondiale ?
Mais l’usage des forfaits n’a t’il pas eu des effets pervers sur le marché ?
Nous n’avons jamais eu pour vision d’en faire un modèle dominant, voire unique. Ce n’est pas notre vision aujourd’hui, par contre ce que l’on constate c’est qu’avec ces nouvelles utilisations de contenus, il y a une arrivée exponentielle de nouveaux clients qui traditionnellement n’achetaient jamais de photos. Le numérique le leur permet aujourd’hui ; je pense aux micro-entreprises, voire aux auto-entrepreneurs, que les américains appellent les « prosumers », à mi-chemin entre le professionnel et le consommateur. On n’est pas sur du BtoB, pas du BtoC, mais du BtoProsumers : quelqu’un qui peut payer pour du contenu. C’est ce public qui est visé avec ces offres d’abonnement accessibles, pour des contenus de qualité, simples à obtenir à un tarif abordable. L’objet des forfaits c’est bien de répondre à de nouveaux besoins, pour de nouveaux consommateurs…
A qui faites-vous appel pour produire les photos que vous commercialisez ? .
Nous avons aujourd’hui 80 000 partenaires/contributeurs qui alimentent nos bases de photos, de la grande agence (type l’AFP avec plusieurs centaines de professionnels), jusqu’au collectif de photographes, voire certains spécialistes indépendants. C’est un entonnoir inversé avec de plus en plus de partenaires.
Nous faisons essentiellement appel à trois types de contributeurs dans le monde : entre 400 et 500 salariés de Getty ; des photographes pigistes exclusifs (« stringers » rémunérés en fonction des ventes- ndlr) et des photographes contributeurs non exclusifs. Les trois sont très complémentaires. Ainsi notre partenariat avec Flickr nous a permis de développer une collection parfaite d’images fraîches, décalées, différentes de ce que nous continuons de produire nous mêmes. Notre rôle est de permettre à un nouveau type d’auteurs d’en tirer des revenus avec une diffusion internationale. C’est un partenariat que nous avons signé il y a maintenant deux ans, et on y trouve une qualité d’images incroyable. Comme Flickr, nous sommes vraiment très contents de cet accord. Du côté de l’AFP, l’accord mondial passé il y a cinq ans nous permet de partager la production à l’international, AFP et Getty ayant chacun des photographes dans des régions complémentaires. Il s’agit d’un partenariat de co-production et mais aussi de co-distribution : l’AFP distribue une partie de nos photos d’actualités en France, et l’inverse dans le monde.
Les photographes profitent-ils vraiment du modèle économique que vous soutenez ?
Je veux bien croire que parmi les photographes traditionnels qui sont sur le secteur depuis plusieurs décennies, tous ne s’y retrouvent pas. Par contre si vous regardez cela de façon beaucoup plus large, un nombre croissant de photographes et vidéastes qui produisent un travail de qualité — comme des photographes salariés de Getty mais aussi des contributeurs flickr — font le constat que même si certaines images « de tapis rouges » valent trois fois moins qu’il y a dix ans, à la fin de l’année leur relevé a doublé grâce à la distribution internationale.
On en revient à ce constat que l’explosion du nombre d’images consommées par les professionnels représente une formidable opportunité pour les agences photo comme la nôtre, mais également pour les photographes installés et les nouveaux entrants. Ces derniers nous apportent des contenus incroyables que nos clients adorent. On a bien un rôle de médiateur, un rôle de mise en contact entre cette nouvelle offre et cette nouvelle consommation.
… mais si les usagers professionnels ne veulent pas débourser un centime ?
Il y a c’est vrai un vrai travail de pédagogie à poursuivre. Mais la bonne nouvelle, c’est qu’il ne s’agit pas d’un manque à gagner, puisque l’habitude était d’utiliser des images sans payer de droits d’auteur ! On le prend donc comme une opportunité. Qui dit utilisation d’image, dit opportunité de rendre cette utilisation légale. Donc il y a ce travail de sensibilisation des professionnels aux droits d’auteurs qui sera renforcé dès cette année. En passant par une offre légale (comme les forfaits) qui rencontre ce type de besoins et de budget… Pour les sites Internet, c’est beaucoup plus direct. On a des solutions technologiques (moteur de recherche PicScout -ndlr) qui nous permettent 24H/24 d’identifier sur les sites du monde entier l’utilisation de nos contenus. C’est un plus, car on peut trouver des utilisations qui n’ont pas donné lieu à une cession de droits d’auteur. Il suffit dès lors de solliciter les professionnels qui sont derrière ces sites. Cette légalisation de l’utilisation illicite (intentionnelles ou accidentelles) d’images est un relai de croissance extrêmement précieux pour notre groupe.
Comment les pratiques professionnelles évoluent-elles ?
Ce que nous voyons, c’est que le quotidien des photographes bouge très vite. Les photographes qui ont pris l’opportunité d’être sur un événement unique ont le réflexe de doubler en photo et en vidéo. Quand on a la chance d’être au bon moment au bon endroit, de plus en plus de nos photographes doublent en photo et vidéo. Quand on dit explosion de la consommation de contenus en ligne, ça va de pair avec une consommation plurimédia, de la photo certes, mais aussi de la vidéo et aussi de la photo associée à la vidéo. Ces packs multimédia associent donc photo, vidéo et audio… Ce sont autant de nouveaux leviers de croissance.