Tendances photokina 2012 (suite et fin)

15 octobre 2012

Photokina « World of Imaging » : ce salon tient toujours ses promesses en livrant tous les deux ans un panorama mondial du secteur de la photographie. Doc. Koelnmesse.

Il y a tout juste un mois la photokina dévoilait des centaines d »innovations, largement décrites par la presse, produit par produit, mais sans analyse globale. Pourtant le salon biennal allemand délivre nombre d’indices sur l’avenir de notre secteur en attestant cette année 2012 d’au moins quatre mutations de fond.

L’hybridation des appareils :  la saturation du marché occidental des compacts incitent les fabricants à développer un marché de niches. La satisfaction photographique de base étant assouvie, les utilisateurs souhaitent des équipements en phase avec leurs usages. Les marques mixent librement les fonctionnalités pour y parvenir au risque de faire perdre la tête aux appelations bien installées.

La cohabitation appareils photo/smartphones s’installe : la complémentarité des usages entre appareils photo et smartphones est un atout pour la photographie, mais également un risque supplémentaire de concurrence frontale : les compacts d’entrée de gamme souffrent, obligeant les fabricants photo à se démarquer et monter en gamme.

Le défi de l’ultra-haute qualité : le seuil dépassé des 30 mégapixels en plein format oblige à remettre l’optique au centre du processus de conception des appareils ;  ne pouvoir résoudre cette montée en qualité, compromettrait l’amélioration des performances des appareils actuels et futurs. L’influence des opticiens n’a jamais été aussi stratégique.

La connectivité des appareils :  En convertissant le public à l’ubiquité, le monde de la téléphonie oblige les fabricants photo à rejoindre l’écosystème numérique global. Il ne s’agit pas seulement de faciliter l’édition de statuts Facebook en temps réel — ce qui correspond bien au besoin du public d’aujourd’hui—, mais d’inscrire les appareils dans l’Internet des objets pour des services innovants futurs.

Le Sony Alpha 99 symbolise cette hybridation : géométrie d’un reflex, capteur plein format, mais visée électronique ! Il préfigure l’avenir, la qualité de visée devenant exceptionnelle grâce à son afficheur OLED. C’est une formule déjà vue sur un prototype d’appareil présenté lors de Canon Expo 2010. A suivre…

• Développement d’un marché de niches par l’hybridation : satisfaire aux nouveaux besoins des consommateurs, tout en luttant contre la concurrence montante des smartphones donne un nouveau ressort à l’industrie photo. Après avoir adopté une structure de marché calqué sur les modèles argentiques, les fabricants sentant la nécessité d’une montée en gamme ont d’abord ré-introduit* les compacts à objectif interchangeable (que la France a baptisé hybrides). Le forcing de quelques marques pionnières pour inventer une nouvelle offre alors que les ventes de compacts commençaient à déclinéer aux Etats-Unis ont provoqué un mouvement vertueux. Tous y viendront, même si pour les fabricants de reflex, l’hybride, c’est un reflex facile à fabriquer (car dépourvu de miroir éclair) ce qui potentiellement augmente le risque de voir arriver de nouveaux entrants. Quoi qu’il en soit l’hybridation se poursuit : il s’agit de mixer des technologies réservées à telle ou telle famille d’appareils pour en créer une nouvelle, plus attrayante pour le public. Le nouveau plein format Sony Alpha 99 doté d’un miroir semi-transparent symbolise bien cette tendance, en étant doté d’un viseur électronique. La formule a son avantage, mais comment le situer parmi ses congénères « reflex », puisque ce mot qualifiait jusqu’à ce jour un appareil à visée optique ? Par ailleurs les compacts sans viseur optique se dotent d’interface, tel la griffe multi-interface IM de Sony, afin d’y connecter viseur, micro ou éclairage.… Autre phénomène : la structuration des gammes autour de la taille des capteurs. Les compact experts Sony RX1 ou Sigma DP1 Merrill rivalisent de qualité  face au Fuji EX-1Pro toujours au plus haut dans le hit-parade des appareils adulés par  les puristes… ou les amateurs d’équipements statutaires (à un prix plus accessible qu’un Leica).  Entre l’Action camera — devenu malgré sa prédominance vidéo un objet de photographe (phénomène GoPro)—  et les derniers compacts experts d’exception (dont le Leica M Monochrome est le représentant le plus extrême),  l’analyse du marché photo se complexifie tout en montant en gamme. Les niches se multiplient avec un public qui plébiscite cette varité de solutions !

(*) La famille des compacts à objectif interchangeable n’est pas nouvelle : on se rappelle les Leica CL (1973) et autres Minolta CLE (1983).

Sorti en mai dernier le Nokia PureView avec son capteur 41 mégapixels et son objectif Zeiss concrétise le risque de voir le monde de la téléphonie s’approprier le savoir faire du monde de la photographie. Le message a été compris :  les industriels photo poussent les feux vers une qualité jamais atteinte auparavant.

• Cohabitation appareils photo/smartphones. Cette cohabitation annoncée est une évidence à laquelle les professionnels répondent trop souvent par le dénis. Entre les mains de certains d’entre-eux les iPhone ont démontré maintes et maintes fois leur capacité de prise de vue dans les pires conditions. Mais la question finalement n’est plus là. Le public en fonction des situations arbitrent en faveur de l’équipement qui semble lui convenir le mieux, la praticité et la simplicité restant des facteurs décisifs. La prise de vue étant une « killer application » pour le monde des télécoms, l’amélioration de la qualité des smartphones leur permet de rivaliser avec les compacts d’entrée de gamme. Le public qui n’est pas dupe, le sait. Entre un renouvellement d’iphone 4 à 99 euros (grâce à subvention opérateur) et l’achat d’un compact au même prix, le bénéfices d’usage va en faveur du premier, malgré ses cinq mégapixels. Fait positif pour le secteur de la photographie, la norme devient la multi-possession d’appareils photo, n’excluant jamais le smartphone. Les marques photo se doivent donc de créer des niches inattaquabless par l’industrie des telecoms, et pousser les feux sur la qualité de leurs équipements. C’est bien ce qui se déploie sous nos yeux avec les compacts à objectifs interchangeable et les compacts experts.

Grâce à la connectivité à courte distance, cette cohabitation est source de bénéfices d’usage  lorsque les smartphones ou tablettes deviennent des accessoires de visée déportés, ou se transforment en télécommande.  Le smartphone devient par ailleurs un hub vers le réseau Internet grâce à son mode partage de connexion. Entre l’appareil photo et le smartphone, qui sera présenté comme accessoire de l’autre ?

Couvrant le plein format 24 x 36 et assurant une haute résolution sur tout le format d’un capteur à résolution supérieure à 30 mégapixels (tel celui du Nikon D800), le nouveau Distagon T* 55 mm f/,4 donne l’ampleur du défi que les opticiens auront à relever avec l’entrée dans une nouvelle ère de très haute résolution.

• Une qualité optique extrême : rejoignant notre précédent post sur les tendaces photokina (voir Tendances Photokina 2012 : le salut par l’hyper-qualité), revenons sur le sujet pour développer ce qui doit être considéré comme l’un des défis posé à l’industrie photographique mondiale. Créer des objectif grand public (donc répondant aux critères d’une fabrication de masse) qui soient en mesure de former une image exceptionnellement fine sur des capteurs de 30 à près de 50 millions de pixels ! Si les focales fixes se montrent capables de le faire à des prix relativement accessibles, les zooms eux, doivent être totalement reformulés pour relever le défi. En réalité aujourd’hui, seuls les objectifs de dernière génération sont en mesure de tirer profit des capteurs à très haute densité (ce qui rend complexe le repérage dans les gammes professionnelle des modèles capables de délivrer cette ultra haute résolution !). En cinéma, où les producteurs ne peuvent s’accomoder de déclaration d’intention, les couples objectifs/caméras sont testés avant tournage sous la houlette du directeur de la photo et des assureurs qui ne peuvent prendre le risque d’avoir un objectif de qualité insuffisante. Et cela sur des zoms dont les prix dépassent souvent les 30 000 euros ! Le secteur de la photo se voit donc dans l’obligation de requalifier la notion de haute qualité, sachant que l’argentique permettait une belle tolérance compte tenu des capacités de restitution sur film (y compris avec la Kodachrome 25 !). Les grands opticiens comme Carl Zeiss se frottent les mains ! La marque a annoncé d’ailleurs de nouvelles optiques destinées aux capteurs plein format de plus de 30 mégapixels… Sigma de son côté repositionne l’image de sa marque après avoir effectué depuis plusieurs années un lifting de ses lignes de produits. Les enjeux sont considérables, puisqu’ils conditionnent l’avenir de la filière qui doit pouvoir montrer sa capacité à produire de la très haute qualité accessible à tous.

Mais à quoi sert une si haute qualité pratiquement ? Certainement pas à faire des tirages encore meilleurs. Les 400 dpi sont déjà dépassés et que signiferait regarder un grand format à 20 cm sous prétexte qu’il est techniquement parfait ! Il faut donc chercher les raisons ailleurs, comme pour l’industrie du luxe : les équipements photographiques deviennent des objets statutaires qui entre les mains des profesisonnels permettent de créer une valeur ajoutée supérieure en limitant la post-production, en gagnant en légèreté en reportage comme en studio, ou en permettant le recadrage drastique de détails dans l’image.

On s’en doute, cette qualité prépare une rupture, celle qui émergera à l’horizon 2015/2020 avec l’avénement des moteurs de reconnaissance de contenus visuels. ces derniers réaliseront automatiquement l’indexation des images. Ce développement technologique qui pourra apparaître effrayant au titre des libertés individuelles, est en revanche de nature à conforter les industriels de l’optique de pointe avec lesquels les industriels de la photo ont destin commun depuis le XIXème siècle.

Nikon a parié sur Android pour son compact connectable, le S800C. Appelé à se développer ce système d’exploitation ouvre l’appareil aux applications photo de la plate forme GooglePlay. Il se connecte au Web via la fonction de partage de connexion d’un smartphone.

•La connectivité des appareils devient une priorité

Pour les raisons de concurrence avec les smartphones évoquées ci-dessus, mais également pour répondre aux usages quotidiens des utilisateurs d’appareils photo, la connectivité des appareils s’impose désormais à l’industrie photo. Nier cette évidence consisterait à faire comme si le milliard de membres actifs sur Facebook était étranger à notre secteur et à son devenir. Comme si les 560 millions de smartphones qui trouveront acquéreurs dans le monde au cours de l’année 2012 se situaient en dehors du champ du photographique ;  comme si l’exubérance de l’activité culturelle en photographie était le seul fait du secteur et non d’une société connectée, intégralement transformée par la culture numérique ambiante.  Si Bernard Cathelat (CCA) parlait en 1989 de la photographie comme du « premier mode d’expression populaire », il n’avait pas imaginé — et nous avec—, que celui-ci en épousant la technologie numérique et en s’adossant au Web, transformerait nos habitudes sociales.

Il faut comprendre cette connectivité au-delà des fonctions qui sont aujourd’hui proposées par les fabricants (pour faire simple, essentiellement le partage facile et le téléchargement d’applications). La mise en place de cette connexion doit plutôt se comprendre dans une logique de déploiement de l’Internet des objets où l’appareil photographique rejoint un écosystème numérique planétaire.  La certification DLNA de certains modèles (comme le Lumix LX7) ajoute au message stratégique qu’à partir de maintenant tout communiquera sans frontière et sans fil.

– Téléchargement de firmewares et de logiciels via les plate-forme d’applications. A l’exemple de la téléphonie, et notamment grâce au succès d’iTunes, l’accès à des milliers de logiciels photographiques devient un modèle économique pour les fabricants. A condition d’embarquer un système d’exploitation compatible avec ceux des smartphones…

– Partage de photos et de vidéos sur les réseaux sociaux. La proposition la plus facile à comprendre avec un bénéfice social immédiat ! Un bénéfice qui sera d’autant plus fort que la qualité d’image sera remarquable (par rapport à celles produites par les smartphones). Les réseaux sociaux sont le lieu de l’exposition de soi, y compris en termes de production d’images !

– Interaction avec le Web par l’exploitation des données du GPS : capacité de reconnaissance des lieux photographiés pour acccéder à une expérience en réalité augmentée ou à des fonctionnalités créatives encore inconnues, allant de la photographie collaborative, à la reconstitution 3D de scènes ou à la mesure photogrammétrique.

– Reconnaissance faciale et indexation du réel permettant aux images prises d’être immédiatement associées à des métadonnées pertinentes. Un véritable défi que les marques photo abordent avec des atouts sérieux. Or ce marché est l’un des plus prometteurs pour le e-commerce, ou plutôt le T-commerce (achat directement sur le téléviseur) où les images des objets présents dans les programmes télévisés deviendront « cliquables » afin de pouvoir les acquérir en ligne.

– Amélioration de qualité par l’utilisation de fichiers ad hoc accessibles par le Web. La reconnaissance visuelle alliée à la géolocalisation permettra de rechercher des données pertinentes en permettant d’améliorer l’acquisition des photographies, comme par exemple leur chromie (en se soustrayant aux contraintes de l’illuminant de l’instant de prise de vue). Autant de développements qui laisse augurer des innovations majeures en photographie. La question de l’intégrité de la représentation du réel sera à nouveau posée… mais cela n’est pas nouveau.

– Sauvegarde et préservation des images en temps réel. Le Cloud devient une nouvelle priorité pour les fabricants d’appareils photo. La possibilité d’interaction et de partage avec PlayMemory sur les Sony Nex ou le lancement du Project 1709 par Canon (après douze ans de Canon Gateway à la notoriété fragile) montre combien le lien avec les fabricants d’appareils se fera plus simplement et facilement par les services du Cloud que par les services traditionnels.