L’usage photographique des téléphones progresse

29 octobre 2010

Le nombre de photos prises avec les téléphones s'accroît de 50 % en 2010 alors que l'usage des appareils photo se stabilise à un niveau élevé. © API/Ipsos 2010

Le fait

La dernière édition du baromètre API/Ipsos qui détaille chaque année le comportement photographique des Français, montre que ceux-ci font 50 % de photos de plus avec leur téléphone mobile (soit 368 photos en moyenne en 2010 par pratiquant au lieu de 244 l’année dernière). Cette progression soudaine se produit au moment où le nombre de prises de vue réalisées avec les appareils photo marque le pas en se stabilisant à un niveau très élevé (940 photos/an pour les compacts, 1 920 photos/an pour les reflex). Télécharger sur le site sipec.org la synthèse du baromètre API/Ipsos 2010 (ou cliquez ici).

Le décryptage

Rien de permet de dire qu’il y a transfert d’usages entre les deux familles de dispositifs, ou s’il ne s’agit seulement que d’un renforcement des usages des téléphones. Fait très intéressant, le baromètre API/Ipsos démontre que les mobiles connectables à Internet enregistrent plus d’images (374 photos en moyenne contre 362 pour les mobiles non connectables). Les performances photographiques entre les deux catégories de mobiles étant comparables, il semble que les usages de prises de vue soient stimulés par les possibilités de partage instantané via Internet. Une hypothèse confortée par la récente mesure d’audience de l’Internet Mobile par Médiamétrie qui place Facebook en 3ème position après Google et Orange pour son audience à partir des mobiles (avec plus de 8 millions de connexion en France entre juillet et septembre 2010).

(*) Néologisme utilisé par IpsosMediaCT pour désigner les utilisateurs de mobiles qui se connectent sur Internet.


Photo de groupe « zoomable »

29 octobre 2010

Cette "photo de groupe" de 1,3 gigapixels a été tagée plus de 8000 fois sur Facebook. Une opération d'Orange lors du festival de Glastonbury. La photo de groupe a de beaux jours devant elle…

Le fait

Sponsor du festival rock Glastonbury 2010 (une bourgade située au sud de Bristol) en a profité pour soutenir un projet photographique original : générer la plus importante photo taguée au monde via Facebook. Petit détail, le « groupe » photographié n’était autre que les dizaines milliers participants groupés devant la scène pour écouter leurs idoles. Soit  quelques 70 000 personnes ! La photo de 1,3 gigapixels, réalisée par juxtaposition de 36 clichés pris en une minute par deux appareils Hasselblad sous la direction du photographe Douglas Fisher comptait le 28 octobre 8779 tags avec autant de liens vers des profils Facebook…

Le décryptage

Grâce à Facebook la photographie de groupe devient interactive, et peut s’inscrire dans une nouvelle dynamique d’usage en rupture avec son caractère traditionnel. D’un rituel souvent perçu par les plus jeunes comme une corvée, la photographie de groupe une fois placée sur Facebook peut devenir le cœur des échanges autour d’une communauté familiale, sportive, associative… On retrouve pour cette application, une contraintes d’hyper-qualité que les photographes connaissent depuis toujours en photo de groupe, justifiant hier le recours au moyen et grand formats, et aujourd’hui l’usage d’appareils professionnels délivrant une résolution maximale. Car comme le montre la photo présentée sur le site créé pour l’occasion par Orange (cliquez ici), l’utilisateur est en quête de détail pour identifier chaque personne et souhaite zoomer toujours plus dans l’image. A ceux qui se pouvaient se demander à quoi pourrait bien servir un capteur de 50 mégapixels comme celui présenté à Canon Expo 2010 mi-octobre, la question ne se pose plus !


Joël de Rosnay à Photofocus 2010

29 octobre 2010

Joël de Rosnay, lors de son exposé sur le futur de la photographie à l'horizon 2020 © Patrick Sagnes/Sipec

Le fait

Organisé pour la première fois le 6 octobre au Musée Dapper à Paris, Photofocus est un nouveau rendez-vous imaginé par les dirigeants du Sipec pour rendre compte à ses adhérents et à la presse de la situation du marché photo et des comportements photographiques des Français. Point d’orgue de cette première édition, qui aura réuni plus de 120 invités, une intervention de Joël de Rosnay* sur le futur de la photographie.

Le résumé

Le scientifique vedette, habitué à l’exercice de vulgarisation scientifique, aura su donner une passionnante vision des technologies de représentation visuelles qui devraient émerger à l’horizon 2020. Celles-ci sont le plus souvent hors du champ de ce que nous connaissons aujourd’hui : recours à des bio-molécules photosensibles issues de la biologie de synthèse, usage du graphène pour les capteurs, les écrans et les processeurs, pilotage d’équipement par « gestes mentaux » détectés par des capteurs cérébraux, mémoire moléculaire développées à partir de bactéries…  Mais certaines d’entre-elles ont déjà quitté la sphère de la recherche fondamentale et nous deviendront familières dans les prochaines années (réalite mixte et augmentée, projecteur rétinien, représentation holographique 3D, impression d’objets en relief à partir d’images modélisées en 3D…).

Pour Joël de Rosnay, la photographie présente sur les réseaux contribue au développement du MOP (abréviation de Macro Organisme planétaire) concept global qu’il a inventé, et que les hommes construisent par les réseaux interconnectés auxquels ils font aujourd’hui appel, mais également dans lequel et grâce auquel ils vivent. Il soulève les épineuses questions de la protection de la vie privée et du risque invasif posé par la représentation en temps réel des actions humaines en appelant l’ensemble des citoyens à contribuer à faire avancer la réflexion sur ces sujets.

Et comme pour donner raison à Joël de Rosnay — qui n’imagine pas l’avenir des appareils photo sans connexion Internet—, au même moment à l’autre bout du monde, au salon Ceatec de Tokyo, Panasonic présentait le Lumix Phone, le premier mobile/appareil photo offrant une résolution de 13,6 millions de pixels ! Celui-ci sera commercialisé par l’opérateur Docomo dès mars prochain.

(*) Joël de Rosnay est président exécutif de Biotics International une société de conseil stratégique en matière de nouvelles technologie, professeur et chercheur au célèbre MIT et conseiller de la Présidente d’Universcience.


Tendances post-photokina (2ème partie)

20 octobre 2010

Prototype de caméscope/caméra au standard cinéma 4K (4096 x 2160 pixels), le Canon 4K enregistre en 60 images/seconde. Son dispositif de visée est proprement hallucinant de qualité, et ne laisse aucun doute sur les performances qu'offriront les viseurs électroniques du futur.

Quand la photo se mesure au cinéma

L’irruption de la capture vidéo HD sur les reflex n’est pas une caractéristique supplémentaire qui, comme tant d’autres, est destinée à ajouter un avantage concurrentiel à un appareil photo. Il s’agit bien — à la mesure de la répercussion que cette possibilité a introduit dans le monde de la production — d’un changement de normes : esthétique, économique, professionnelle. Ces appareils, initialement utilisés par les seuls photographes se retrouvent aujourd’hui dans toutes les sociétés de location, chez les reporters free-lance, mais aussi les sociétés de productions télévisuelles et publicitaires ou encore les teams créatifs des agences… Au début, c’était pour voir : pas cher et idéal pour faire des maquettes de clips bluffants, l’EOS 5D MkII (puisqu’il s’agit de lui !) devient très vite l’outil utilisé pour produire le document final.

Entre les mains des professionnels, l’EOS 5 MkII fait les pieds au mur, et force est de constater qu’il rivalise plutôt avec les standards de la production cinéma que ceux de la vidéo tant pour l’esthétique des images qu’il délivre que pour la production d’un son de qualité. Le preneur de son retrouve sa liberté de mouvement sans lien direct avec la caméra, la synchronisation en post-production se révélant maintenant facile (même sans clap). Du coup, avec l’EOS 5D MkII (et ses récents rivaux), entre qualité des images et qualité sonore, mode de captation des images et du son, les reflex HDSLR s’insèrent plutôt dans une démarche de travail et des exigences qualité du monde du cinéma. Les chefs opérateur, après les avoir regardé d’un œil torve, les accueillent dans leur sphère professionnelle. La photokina ne rendait pas compte de ce mouvement, mais la caméra 4K présentée à Canon Expo à Paris mi-octobre, montre combien la société pourrait être vite légitime sur ce secteur dans les années à venir.


La pression 3D monte d’un cran

20 octobre 2010

Les photographes utilisent depuis le XIXème siècle le principe de la stéréoscopie pour visualiser le relief en photographie. C’est aujourd’hui ce procédé que l’on appelle improprement 3D et qui s’imposera d’ici 2013 sur plus de 50 % des téléviseurs commercialisés. Si rien de nouveau n’a été inventé sur le principe, la puissance de traitement tant du côté de la capture que du côté de l’affichage permet aujourd’hui de « facilement » restituer successivement deux images droite-gauche sans rémanence, à une cadence minimum de 2 x 60 hertz en association avec des lunettes synchronisées.

Mais cette 3D là promet d’être provisoire ou uniquement réservée au divertissement passif. En effet, celle que les studios d’animation exploitent avec des puissances de calculs extrêmes, pourrait très vite devenir celle que nous aurons à apprivoiser en photographie plus rapidement que nous le pensons. Elle nous arrivera par la prise de vue tri-dimensionnelle, ce que Canon Expo nous a permis de découvrir à la Grande Halle de la Villette. Cette technologie du futur n’était pas présentée à la photokina par Canon, même si la marque était indirectement présente sur plusieurs expériences de prise de vue multiples permettant d’obtenir  des séquence vraiment étonnantes en stop motion (voir la vidéo ci-dessous), ou en modélisation 3D réalisée en direct via le « Matrix Ring » (à voir en cliquant ici )

Mais revenons à cette prise de vue tri-dimensionnelle : elle consiste à enregistrer le temps d’une fraction de seconde un très grand nombre de photos avec une mise au point différenciée sur toute la profondeur de la scène photographiée. Toutes ces images étant indexées avec la distance de mise au point, il devient facile en post-production d’en isoler une, afin d’extraire un sujet précis présent à une certaine distance (on sélectionne une tranche de l’image tri-dimensionnelle en quelque sorte). Mais aussi de changer le plan de mise au point a posteriori, en cliquant là où l’on préfère que ce soit net. L’autre avantage sera, entre autre, de pouvoir faire « circuler » de façon réaliste un sujet en mouvement dans un décor réel (démonstration très probante à Canon Expo que nous vous montrons en début d’article grâce à une  vidéo tournée par nos confrères du site http://www.lesnumériques.com). En enregistrant une scène à deux ou trois appareils, le nombre d’informations disponibles rend possible une modélisation 3D que l’on pourra manipuler sur un écran comme un objet réel, moyennant une puissance de calcul conséquente (selon un principe qui existe déjà sur le site http://www.photosynth.com décrit en mai 2009 dans Décryptages).

Une fois cette étape de modélisation opérée, l’impression en miniature d’une scène réelle devient envisageable en trois dimensions. De telles imprimantes se multiplient dans l’industrie et le secteur du design pour le prototypage d’objets et de pièces. Des polymères sont projetées selon le principe utilisé par les imprimantes jet d’encre, avec ici un déplacement des buses dans une troisième dimension pour créer un objet en relief. C’est la troisième voie de l’image 3D qui se traduit aujourd’hui par des applications encore limitées comme celle du site www.thatsmyface.com qui propose des portraits sculptés (voir notre présentation « Portraits en relief » publié le 15 avril 2009). Un potentiel de développement qui reste totalement ouvert.


La nouvelle complexité du marché photo…

20 octobre 2010

Quelques formats de capteurs utilisés en photographie… vous avez dit simplicité ? Heureusement, les focales des objectifs sont exprimées en équivalent 24x36…

La nouvelle complexité du marché photo…

« L’hybride va remplacer le reflex grand public d’ici cinq ans »* : cette affirmation de Julien Sauvagnargue, directeur de division photo d’Olympus France pourra être prise pour une provocation facile de la part d’un acteur qui ne pèse pas très lourd avec sa série E sur le segment grand public face aux géants Canon et Nikon. Mais tout porte à croire qu’il a raison**. Pour au moins quatre raisons principales : deux technologiques, une industrielle, la dernière de marché.

– l’arrivée de dispositifs autofocus pilotés directement par l’image formées sur le capteur principal (comme chez Fujifilm avec son Super CCD EXR) conduira à une simplification extrême de la fabrication des appareils hybrides associée à des performances supérieures même en basse lumière.

– l’arrivée de viseur électronique de qualité équivalente ou supérieure à une visée TTL totalement optique conduira les consommateurs à se diriger en masse vers ces appareils non-reflex qui apporteront des atouts uniques : informations sur l’image, effets créatifs temps réel, réalité augmentée…

– La simplicité de fabrication de ces appareils abaissera leur prix de revient usine, permettant une offensivité commerciale élevée face à leurs homologues reflex plus encombrants et plus lourds et cela, pour une qualité d’image équivalente.

– Enfin, les hybrides (dont le nom rappelons-le est lié à leur double capacité de capture photo et vidéo) incarnent une nouvelle catégorie d’appareils qui ne pourra que croître, alors que le cycle standard d’un marché d’équipement grand public veut que les bonnes années du compact numérique sont derrière nous et que celles du reflex se poursuivront durant trois années encore…

Le marché est entré dans une phase de complexité extrême pour les consommateurs (et les distributeurs) alors que la fabrication des appareils va se simplifier en embarquant une puissance de calcul sans cesse supérieure. Les « vrai-faux reflex » ou « vrai-faux hybrides » vont se multiplier, avec qui des viseurs optiques, qui des viseurs électroniques, qui des miroirs fixes, qui des miroirs semi-transparents, qui des sans miroirs, qui des écrans sans viseur, qui des viseurs optionnels, qui des modes de traitement temps réel, qui des traitements différés… avec à la clé une segmentation d’une complexité encore inconnue sur ce marché et que le marketing aura à gérer à flux tendu tant la créativité des industriels va pouvoir se libérer… Une chose est certaine, les années prochaines promettent d’être particulièrement fécondes en innovations. Restera aux auteurs à s’approprier les nouvelles possibilités créatives offertes, afin que ces appareils ne soit pas trop vite rangés dans la catégorie des gadgets géniaux dont les limites ne seront jamais explorées.

(*) Propos publiés dans les colonnes du Monde de l’image n°70 daté septembre-octobre 2010.

(¨**) Rappelons que la vision d’Olympus a su faire preuve à de nombreuses reprise d’une grande clairvoyance vis à vis des technologies innovantes: invention des bridges, rejet de l’APS, lancement de la première gamme de compacts numériques (Camedia), adoption précoce du format 4/3, lancement de la série Pen…


Tendances post-photokina 2010 (1ère partie)

4 octobre 2010

Dans les starting-blocks : 180 000 visiteurs (+ 7%) se sont pressés du 21 au 26 septembre derniers dans les allées du plus grand salon mondial dédié au secteur de la photographie © Photokina Press Team

L’effervescence de cette dernière photokina et son succès populaire (180 000 visiteurs en hausse de 7 % ) traduit au-delà de l’engouement du public pour la photographie, un renouveau pour l’ensemble des acteurs du secteur.  Le monde professionnel (secteur du business, de la distribution et des photographes) n’a jamais été aussi présent à Cologne. Il représentait cette année 46,5 % du visitorat de la manifestation.

Aiguillonné par la montée des grands électroniciens, les industriels poussent les feux de l’innovation : le temps du numérique n’est plus celui de l’électronique et encore moins celui de l’optique ou de la micromécanique. Après l’abandon des technologies et des normes en usage au XX ème siècle, l’ensemble de l’industrie se projette en avant pour le plus grand bénéficie d’une humanité convertie aux bénéfices d’une photographie instantanée et mobile, toujours plus ubiquitaire. La demande de représentation de soi, d’ultra-présence sur Internet, le goût croissant pour le storytelling narcissique et communautaire nourrissent une croissance solide du secteur car la construction et l’entretien de réseaux de sociabilité passent désormais par la production d’images de soi ou du monde au quotidien. Ce mouvement profite à l’échelle mondiale au secteur photo autant qu’à celui de l’Internet. L’innovation des fabricants, exacerbée par des enjeux industriels — où l’on note la réminiscence de clivages vieux de dix ans entre le monde photo et le monde électronique — ne fait que rajouter à l’accélération du phénomène : il aurait été inconcevable qu’il en soit autrement, tant le filon est porteur !

Dans cette avalanche de nouveautés, comment s’y retrouver ? Les annonces nombreuses relatées par les principaux sites d’informations — comme les titres de presse —concernent majoritairement les produits des seuls grands fabricants d’appareils photo ce qui donne une vision certes intéressante mais réductrice, en éliminant les signaux faibles qui sont les ferments des tendances de demain et des modèles d’affaires qui se développeront ! Finalement, ce sont les groupes d’utilisateurs et les bloggeurs spécialistes de mille applications singulières qui rendent compte bénévolement et avec passion de ce qui se passe aux marges de l’univers, hors du champs bien huilé des prises de parole des firmes communicantes. Ces praticiens font une lecture des nouveautés en fonction des bénéfices qu’ils peuvent en attendre. Et coproduisent les conditions d’usages des « innovations » proposées. Malgré leur communication « mainstream », les marques n’ont  jamais été autant à l’écoute des utilisateurs qui définissent les bénéfices d’usages — et donc l’utilité !— de leur production. Si la production de contenus par les utilisateurs (users generated content) a fait émerger le Web 2.0 en bouleversant la donne de la photographie d’illustration, les industriels se trouvent tous logés à la même enseigne face l’appropriation surprise de leur propre production par des usagers au talent immense : l’exemple de l’EOS 5D Mark II l’a prouvé en transformant en quelques mois les conditions de production de la vidéo professionnelle, sans que ce phénomène n’ait pu être accompagné par la marque durant la première année d’existence du boîtier. Depuis, les choses ont bien changé…

Comment rendre compte de cette effervescence, tant la diversité des solutions proposées par les 1 251 exposants présents à Cologne rend impossible une lecture simplifiée du nouveau monde ? Une chose est certaine, celui qui s’élabore sous nos yeux est le  fruit de la dynamique des interactions entre les différents secteurs de pointe du numérique, et pas seulement le résultat de  la programmation de chacune des composantes : optoélectronique, Internet, télécommunication, jeux vidéo, écran haute résolution, téléviseurs connectés, cloud computing, modélisation 3D, impression rapide, réalité augmentée, géolocalisation…  Le champ des possibles en technologie numérique ouvre largement les portes de la créativité des industriels et des PME.  La profusion des nouveautés en témoignent qui n’ont pas toutes pour objet de devenir des best-sellers : mais au moins dans ce contexte riche, la raréfaction des me-too products, offre une condition favorable à une différenciation marketing efficace pour les marques, tout en permettant une ouverture des usages à un public toujours plus large.

Après cette longue introduction, détaillons plusieurs phénomènes saillants qui auront un impact sur les activités marchandes ou créatives des photographes professionnels.

• Le calendrier de l’innovation s’accélère fortement : le poids croissant lié à la puissance de calcul embarquée dans les équipements de prise de vue provoque « mécaniquement » une accélération du calendrier de l’innovation. Des ruptures peuvent hypothétiquement arriver sur la technologie des capteurs et des objectifs. Pas sur la loi de Moore, qui ne s’est jamais démentie depuis 1965 (même si son ralentissement théorique est réel depuis 2004). La puissance des processeurs permet aujourd’hui l’arrivée de modes panoramiques ou 3D temps réel, de modes HDR, de vitesses d’acquisition ultra-rapide sur de simples compacts… Dans 18 mois le même compact embarquera une puissance de calcul capable d’offrir deux fois plus de « bénéfices », tout en étant moins cher.

• Les hydrides, levier de croissance incontournable : les compacts à grand capteur et objectif interchangeable — que le marché a choisi en France de baptiser « appareils hybrides »— sont perçus comme le meilleur levier de croissance des prochaines années. Leurs promoteurs mettent en avant une qualité d’image et des possibilités équivalentes à celles des reflex en étant plus compacts, donc plus pratiques. Mais toute cette énergie n’est pas évidemment déployée pour produire uniquement des bénéfices consommateurs ! Il s’agit d’une offensive des grands électroniciens (Panasonic/Samsung/Sony) et d’Olympus qui en s’engageant dans cette voie, comptent bien changer les lignes bien établies du marché autour de la sainte trinité (compacts/bridges/reflex). Le but est évidemment de sortir de la situation de quasi-monopole de Canon et Nikon (80 % de pdm en volume) sur le segment le plus profitable, les reflex. En créant une nouvelle famille (que les leaders ne pourront feindre d’ignorer longtemps l’existence…), les promoteurs du marché des hybrides contournent l’obstacle et entendent redistribuer à leur avantage le futur marché des appareils photo. Autre atout non négligeable : les hybrides sont moins coûteux à fabriquer que les reflex (du fait de l’absence de pentaprisme et de miroir-éclair), et leur prix de revient est soumis à la baisse constante du prix des composants électroniques (ce qui n’est pas le cas pour les composants opto-mécaniques utilisé sur les reflex « traditionnels »).

• L’impression thermique recto/verso bouleverse le photopublishing : l’arrivée d’imprimantes thermiques recto/verso chez DNP, Kodak et Chimko donnent de nouvelles perspectives à la production d’albums en magasin. Les processus complexes n’ont qu’à bien se tenir, sauf les solutions industrielles sur presses numériques qui voient leur qualité de production à nouveau améliorée. Les tirages argentiques contrecollés gardent leur atout en termes de prix de revient, tout en ayant les meilleures chance de survie sur les niches ultra-qualitatives… mais pour combien de temps ? On peut parler de second souffle du photopublishing.

• L’arrivée de reflex à viseur électronique est un tournant majeur : véritable bombe dans l’univers des fabricants de reflex, la sortie des Sony Alpha 33 et 55 est la première offensive visible de Sony pour déstabiliser le pré-carré des leaders du marché des reflex (Canon/Nikon). En abandonnant tout à la fois la visée optique et le miroir-éclair (que la marque remplace par un viseur électronique haute résolution et un miroir semi-transparent), Sony s’attaque aux deux symboles du monde des reflex. Cette nouvelle conception apporte des atouts réels pour les amateurs en permettant la vidéo HD en mode autofocus continu, l’absence d’occultation au déclenchement, l’accès à des cadences de prise de vue photo de 7 i/s… Pour Sony, c’est aussi le moyen de préparer les esprits à une nouvelle manière de photographier : les futurs viseurs autoriseront la visualisation des effets créatifs en temps réels, allant du rendu noir et blanc à l’affichage de métadonnées sur l’image visée (réalité augmentée). Canon et Nikon ne pourront ignorer longtemps ces développements… d’autant que de tels reflex sont moins onéreux à produire (malgré le viseur électronique intégré) que leur équivalent à prisme et miroir-éclair !

• Les « social recorders » forment une vraie famille de consommateurs : conceptualisé par Manfrotto pour redéfinir avec pertinence sa stratégie marketing, la marque italienne Manfrotto, positionnée sur le monde professionnels donne la part belle aux « socials recorders» : un public d’amateurs (40 % des usagers estime la marque) qui photographient au quotidien pour communiquer leurs images (et leurs émotions) sur les réseaux sociaux. Des consommateurs trop souvent ignorés des vendeurs d’appareils eux-mêmes et dont les besoins ne sont pas ceux des amateurs experts (14 % des usagers)… Le boom des caméscopes de poche symbolise le nouveau besoin de ces consommateurs de mettre en ligne simplement, rapidement leurs images. Manfrotto entend apporter à ces consommateurs des solutions pour améliorer la qualité de leurs images grâce à des accessoires spécifiques mais également des produits statutaires haut de gamme. Une réponse à la montée conjointe d’une culture photographique et d’une gestion optimale de leur réputation numérique par les internautes.

• Quand les écrans rivalisent avec l’impression papier : depuis l’arrivé de la version 4 du iphone, puis l’avénement du  ipad, chacun peut disposer dans sa poche d’écrans dont la résolution supérieure à 300 dpi rivalise avec les meilleures impressions. Via les possibilités d’interactions tactiles avec les contenus visuels, cette résolution est mise à profit pour une description d’image dans ses plus infimes détails (avec une qualité texte saluée par les utilisateurs). Il ne s’agit pas de comparer les deux supports qui interviennent pour des applications si différentes, mais de simplement prendre acte que cette qualité équivalente — sinon supérieure — des écrans qui arrivent, ne manquera pas d’avoir une impact sur notre manière de parler de qualité photographique.

• Entre « virtuel » et « réel »* le consommateur choisit toujours le surcroît d’émotion : L’objet photographique qu’il soit sous forme imprimée ou sous forme numérique (visualisable sur écran) n’a aucune différence de nature au regard de sa fonction sociale. Ce principe énoncé par le sociologue Anthony Mahé en 2007 dans son mémoire  « Le temple intérieur de l’image » pose aussi la limite du prosélytisme marketing autour de l’impression photo. L’effet émotionnel généré par un tirage ou une impression devient dès lors le plus puissant moteur de la consommation de photos imprimées (= facturées). L’imprimante thermique  introduite par DNP lors de cette photokina répond à cet objectif en apportant l’attrait unique à ce jour de l’ennoblissement par impression dorée et argentée. Cette innovation démontre que la stimulation du marché passe par le dépassement des standards les plus qualitatifs auxquels les consommateurs se sont vite habitués : pour l’exprimer autrement, la qualité est nécessaire mais pas suffisante pour faire passer les consommateurs à la photographie imprimée. Il faut que cette qualité soit assortie d’un surcroît d’expérience émotionnelle.

(*) Désolé pour cette approximation de langage, destiné à « déboulonner » une fois encore le fameux poncif entre réel et virtuel.  Il existe deux formes matérielles de la photographie :  l’une imprimée, l’autre numérique. Il n’y a pas moins de matérialité et pas plus de virtualité entre une photographie numérique affichée sur écran, que son équivalent imprimé. Seul le mode de consultation change et avec lui la gestuelle.

• L’effet Whaou ! au cœur de toutes les innovations : le trait commun entre les innovations présentées à Cologne reste la recherche du plus fort impact émotionnel.  C’est l’effet Whaou ! (Wow effect) qui est toujours recherché par les industriels : très grand-format, représentation 3D, mode panoramique temps réel, hyper-résolution, albums photo « façon » livre d’art, vidéo HD « façon » cinéma, hyper-ralentis, effets créatifs temps réel, sensibilité extrême en qualité photo, mode HDR, chronophotographie, télé-zoom extrême, profondeur de champ visualisable et gérée numériquement (et non optiquement), photographie 360°, photographie 3D modélisée, interactivité tactile, projection et impression géantes (plusieurs dizaines de mètre de base), diaporama sonorisés automatique… Ces innovations se structurent toutes autour d’une première expérience réellement bluffante… Le postulat : plus fort sera l’impact émotionnel, meilleure sera la réussite commerciale. Ce marketing expérienciel a ses limites : le consommateur doit parfois se laisser convaincre de participer à l’expérience qui lui est proposée (comme pour expérimenter un grand-huit dans une fête foraine). Dans le cas de l’album photo, il faut qu’il fasse un premier album avec ses propres photos pour être lui-même touché, car les exemples qui lui sont présentés en magasins ne parviendront jamais à vraiment l’émouvoir…

Tendances post-photokina (2ème partie) : Quand la photo se mesure au cinéma, La pression 3D monte d’un cran, L’appareil photo peut-il survivre sans connexion directe ? La nouvelle complexité du marché photo… (à suivre le 15 octobre)

Interview de Sébastien Devaud

4 octobre 2010

Réalisateur chez Akwaba Pro, Sébastien Devaud a troqué les caméscopes professionnels pour le Canon EOS 5 MkII dès le printemps 2009. Sa maîtrise de l'outil lui a permis de devenir "ambassadeur Canon broadcast".


Auteur de l’ouvrage « Tourner en vidéo HD avec les reflex Canon » récemment publié aux Editions Eyrolles », Sébastien Devaud réalisateur et photographe, répond à nos questions.

Comment le mode vidéo HD sur les reflex a-t’il transformé votre pratique professionnelle ?

J’avais cette attente depuis longtemps, sans doute liée à ma formation cinéma.  J’ai été appelé à faire de la vidéo de reportage ce qui me plaisait. Mais si le fond me plaisait, la forme visuelle des images ne me satisfaisait pas. Quand j’ai vu que ça marchait avec l’EOS 5D Mark II, j’étais vraiment ravi.

Cet intérêt précoce m’a permis de résoudre les problèmes rencontrés en tournage et en post-production. Maintenant on vient me chercher pour tourner avec les HDSLR EOS (5DMkII, 7D, 1DMkIV). Toutefois pour faire de la télévision ce n’est pas forcément le moyen le plus adapté. Je ne veux plus passer mes nuits en post-production ! Par ailleurs je souhaite travailler pour des gens qui ont conscience de l’intérêt apporté par cette nouvelle esthétique d’image. Or, il faut le reconnaître qu’il existe une partie des demandes qui visent l’économie sous prétexte que c’est tourné avec un appareil photo… j’y vois là un manque de considération pour les photographes, ce que je déplore.

Le mode vidéo des HDSLR EOS a vraiment stimulé mon activité. On m’a demandé de faire un générique pour Canal +, et j’envisage de travailler avec une photographe italienne spécialiste de photos culinaires pour faire des sujets courts. J’ai envie de partager mon expérience car je suis convaincu de l’aspect fécond de l’échange entre professionnels. Les gens qui ont une spécialité en image fixe ont intérêt à créer des images vidéo de très haute qualité. Sur Internet peut-on vraiment se contenter d’avoir seulement des images fixes ? Le succès des web-documentaires prouvent que la voie est pometteuse.

Et en tournage, c’est très différent d’un caméscope ?

Une à une j’ai résolu les questions de tournage avec les HDSLR EOS. Comme par exemple la surchauffe du capteur et la limitation des cartes à 12 minutes d’enregistrement. Pas question pour moi de réaliser une interview de 30 minutes sans disposer d’un second boîtier! La qualité est exceptionnelle, mais la présence d’une compression ne peut être ignorée (le fichier généré n’est pas comparable à celui d’une caméra Red en 4k sans compression) ; enfin l’effet de déformation des images en mouvement (lié au rolling shutter des capteurs CMOS) existe même si il peut être corrigé en post-production. Par contre les questions de mise au point ne posent pas de vrais problèmes aux photographes. Ce sont les vidéastes qui doivent apprendre ce qu’est une vraie mise au point au millimètre près !

Côté postproduction quelles seraient vos préconisations ?

Je préconise un workflow idéal, professsionnel et pas cher : travailler sur Mac avec Final Cut Pro. Canon propose un plug-in qui permet de tripler la vitesse de conversion des fichiers (il faut compter le temps des rushes quand même !). L’exigence plutôt « pointue » des photographes en matière de colorimétrie les obligera à se familiariser et approfondir le fonctionnement du logiciel Color (intégré à la suite Final Cut Pro). Cette même suite permet de conformer le document au mode de diffusion.

Quels sont les « pièges » pour un photographe ?

Les photographes ont trois problèmes : la post-production, l’audio et le mouvement. La post-production doit être abordée sans crainte avec une bonne solution comme celle que je viens de décrire. Pour l’audio, il faut s’y plonger et apprendre. Je note que les ingénieurs du son reprennent plaisir à travailler en vidéo car c’est la première fois qu’ils peuvent ne plus être reliés à la caméra et travailler de façon autonome. La synchronisation se fait ensuite facilement. Des mixettes dédiées existent qui permettent un excellent contrôle. Le mouvement enfin : il fait peur aux photographes car je note qu’ils réalisent des films très beaux mais souvent très statiques. De bons accessoires sont indispensables. Je privilègie ceux inventés par les chefs machinos… car tout dépend de l’expérience de celui qui invente le système. Il faut essayer et essayer encore.