Guillaume Le Bleis, DG de Fotolia France : « à l’heure d’Internet si le coût ne s’était pas adapté aux besoins du marché, un maximum d’images seraient simplement volées »
Créé en 2006 par deux entrepreneurs Thibaud Elzière et Oleg Tscheltzoff, la société Fotolia est considérée par une majorité de photographes professionnels comme la plate forme de vente low-cost qui a le plus contribué à la baisse du prix moyen de la photographie d’illustration au cours de ces dernières années. Le succès de l’entreprise atteste pourtant que la démarche avait une pertinence (comme easyJet aujourd’hui pour les compagnies aériennes), et plutôt que de ressasser les éternelles rancœurs sur la question, préférons savoir comment ce business de la photo low cost évolue en France. La tribune libre de Guillaume Le Bleis parue le 1er février sur le journaldunet.com ( à lire ici) nous donnait le prétexte à cette interview qui fait suite à celle de Jeff Guilbault de Getty Images il y a un mois ; l’occasion de poursuivre notre analyse des nouveaux modèles économiques de la photo…
Fotolia, en quelques chiffres ?
Guillaume Le Bleis : Fotolia c’est 115 000 contributeurs à travers le monde dont 15 000 en France. Cela nous permet aujourd’hui de proposer près de 13 millions de photos, illustrations et vidéos HD sur notre plateforme. Nous comptons 2,5 millions de comptes dont 700 000 acheteurs professionnels qui téléchargent selon les périodes de 30 à 40000 photos/jour. Nous sommes désormais représentés dans 14 pays. En 2010, nous avons reversés plus de 40 millions d’euros de droits d’auteurs aux contributeurs qui alimentent nos collections.
Dans une tribune libre récemment publiée dans le Journaldunet vous regrettez que la photographie n’ait pas été prise en compte dans le dispositif Hadopi de protection de la propriété intellectuelle des auteurs. Vous comprendrez que les photographes vous considèrent dans la situation de l’arroseur arrosé en ayant démocratisé l’accès à une photographie à très bas prix… ?
Il y a une grande différence entre modèle gratuit et low-cost. La culture de la gratuité est une utopie, car par ignorance ou opportunisme, elle conduit les utilisateurs de biens culturels à nier qu’il faille rémunérer les gens qui travaillent derrière pour les produire et les rendre disponibles. Ce qui est plus grave, c’est que cette « ignorance » s’est répandue chez les professionnels de la communication. Pourtant notre modèle low cost, propose une alternative légale qui permet de rémunérer les auteurs ! L’offre à bas prix existe, il faut donc pousser les professionnels de la communication à abandonner les pratiques de piratage. C’est un travail de pédagogie que la cellule Hadopi applique aux contenus musicaux et audiovisuels, mais dont la photographie ne profite malheureusement pas. Nous pensons qu’il est impératif de conduire ce travail pédagogique, ce que je m’efforce de faire par mes interventions ou prises de parole… (comme cet avis d’expert sur Webinfotv.com à découvrir en cliquant ici) ou encore par une campagne de publicité qui sera diffusée en avril 2011 (voir le communiqué presse et les visuels en cliquant ici).
Comment justifiez-vous des prix aussi bas que 0,14 euros pour avoir le droit de reproduire une photo ?
C’est le principe du modèle low-cost, et à l’heure d’Internet si le coût ne s’était pas adapté aux besoins du marché, un maximum d’images seraient simplement volées. Mais la baisse du coût unitaire des photos engage les entreprises à en utiliser plus : il y a toujours plus d’utilisation par supports (brochure, catalogue, publicité ou site Internet…). L’accélération des besoins de communication fait qu’il y a de plus en plus d’images « jetables », celles-ci ont en effet une durée de vie de plus en plus courte. Il faut ajouter que ce prix de 0,14 euros par images est lié à un engagement d’achat sur des volumes importants, le prix moyen se situant plus aux alentours de 4-5 euros par image.
Mais les photographes peuvent-ils vraiment vivre des images commercialisées sur Fotolia ?
Beaucoup de photographes professionnels ont évolué et migré vers les microstocks, ce qui leur a permis de vendre à l’international sans connaissance linguistique particulière ni investissement commercial. Chez certains qui nous ont rejoint, ça a été une révélation : ils ont pu se consacrer à la création de photos en disposant d’un canal de promotion supplémentaire sans risque d’auto-concurrence avec leur activité de prise de vue principale. En effet le microstock ne s’occupe que d’une catégorie de photos « basiques », utiles, des images communes, utilisables pour de nombreux usages, rien à voir donc avec des shootings sur des produits particuliers ou des exclusivités que seuls les photographes indépendants peuvent proposer. Pour prendre conscience du potentiel qu’offre ce nouveau modèle, retenons que la meilleure image de notre site a rapporté à son auteur plus de 18 000 dollars mais évidemment ce n’est pas la règle…
L’un des cinq visuels de la nouvelle campagne "pédagogique" de Fotolia : "l’objectif est de conduire les entreprises à acheter les images, et non à les … voler !"
Comment comptez-vous lutter contre le vol et la contrefaçon ?
Il est très difficile de mener des actions internationales. Nous négocions seulement le retrait des images des sites qui les utilisent sans licence, mais finalement nous y arriverons en éduquant les consommateurs. Le seul moyen c’est la pédagogie. Pour le public des professionnels s’entend. Car pour les particuliers c’est un autre problème ! Sauf avoir recours aux FAI, ce qui n’est pas envisageable, nous sommes obligés de les évacuer de notre sphère de contrôle.
Dans votre tribune libre (lisible en cliquant ici), vous adoptez un discours très proche de celui des organisations professionnelles qui cherchent également à faire respecter la rémunération des auteurs ?
Pour lutter contre le vol des photos par les entreprises, il nous faut une communication responsable menée conjointement avec toutes les parties prenantes. Or avec l’UPP j’ai l’impression que nous sommes le bouc émissaire du secteur. Je suis profondément pour un débat ouvert sur cette question, mais à chaque fois mes interlocuteurs adoptent une approche juridique sans rapport avec la situation à laquelle nous devons faire face. Fotolia avance finalement avec un dispositif pour éduquer les utilisateurs d’images en entreprise.
Vos licences d’usages sont inspirées du droit américain, mais pourrait-on imaginer un aménagement des contrats pour vous rapprocher des principes défendus par les organisations professionnelles françaises ?
Fotolia propose une licence d’utilisation d’image sans limite de temps mais, à la demande des auteurs, nous pouvons tout à fait limiter les usages dans la durée. Nous respectons le Droit français à la lettre et pour les 14 pays dans lesquels nous sommes présents, nous adaptons l’application des contrats à la réglementation locale. Le fait d’avoir commencé en France nous permet de respecter la législation la plus sévère.
Les licences Creatives Commons sont-elles un risque pour vous ?
Les utilisateurs professionnels de licences CC (créatives commons) prennent beaucoup de risques, notamment en matière d’autorisation des personnes représentées. Le droit d’utiliser des photos « données » par leur auteur n’offre aucune garantie légale sur le contenu des photos. Nous disposons chez Fotolia de plus de 300 000 autorisations écrites prêtes à être envoyées aux clients qui en font la demande.
Quelles perspectives pour 2011 ?
Des investissements au sein d’AudioMicro début février (pour 750 000 dollars – ndlr) nous permettent d’élargir notre offre vers les contenus musicaux et les sons « libres de droits ». Nous projetons également d’implanter Fotolia dans de nouveaux pays et continuons nos efforts pour sensibiliser les utilisateurs d’images aux règles de propriété intellectuelle. L’ouverture de notre plateforme à des fonds photographiques proposées par des agences renommées nous permet d’associer à notre site à une offre nouvelle… le marché n’est donc pas fermé, tout le monde peut prendre sa place. Il suffit de sentir les tendances et de délivrer des contenus de qualité en fonction des besoins du marché. Les photographes qui produiront des images d’action, de ski ou de football en vendront beaucoup en 2011, c’est sûr.