Jorge Alvarez répond à Guillaume Le Bleis

Jorge Alvarez, photographe et trésorier de la Saif réagit aux propos du directeur de Fotolia, publiés fin mars par "Décryptages"

En réponse au propos de Guillaume Le Bleis (DG de Fotolia) dont nous avions publié l’interview le 31 mars 2011, Jorge Alvarez (photographe et trésorier de la Saif*) a souhaité nous faire part de sa position concernant les photos dites « Libres de droits », au nom des photographes professionnels.

Votre hostilité aux photos dites « Libre de droits » ne cesse de grandir…

Le modèle économique du « Libre de droits » est selon moi nuisible à l’économie des photographes professionnels en profitant essentiellement aux diffuseurs au détriment du producteur d’images. Prétendre instaurer le « low cost » dans la diffusion de la photo, c’est détruire à terme le marché dans son ensemble. J’ai du mal à croire qu’il soit possible de convertir un modèle de production artisanal en modèle industriel. D’ailleurs, les unités de production industrielle de photo se comptent en France sur les doigts d’une main. Passer de force d’un modèle à l’autre porte préjudice au développement de la création.

Comment le photographe indépendant peut-il se battre ?

D’abord en affirmant sa cohésion avec les groupes professionnels chargés de défendre ses intérêts, notamment les groupements et syndicats qui soutiennent l’action que nous menons autour de l’association « Contre le libre de droits » (nom provisoire ndlr). Nous avons besoin de  l’ensemble des professionnels pour résister à cette dérégulation qui nous précarise.

Peut-on lutter contre une mondialisation qui s’impose dans tous les secteurs ?

Nous n’avons pas pour mission de renverser le cours de l’histoire. Mais faire valoir des principes légaux et de bon sens pour ne pas nous laisser laminer par des multinationales qui profitent de l’avènement de l’Internet et de la mondialisation des échanges pour détourner la législation sur le droit d’auteur à leur profit. Si comme je le pense, les photographes fonctionnent sur le mode de l’artisanat, il est nécessaire que leurs revenus leur permettent de se renouveler, d’explorer de nouveaux domaines afin d’assurer leur avenir professionnel.  Cette « R&D personnelle » était financée auparavant par la vente de photos d’archives. Mais aujourd’hui, comment peut-on rester créatifs quand on est dans une situation précaire ?

Le principe de la « longue traîne » promu par les microstocks permet justement aux photographes de mondialiser leur offre commerciale au monde entier via leurs plate-forme ?

Etre photographe ne se limite pas à la prise de vue. Il s’agit de répondre à des besoins, si possible de les anticiper, et pour cela, il  est important de pouvoir être en relation directe avec les clients afin de garantir une forte valeur ajoutée partagée. Cela passe aussi par l’indexation, le référencement… Dans les photos dites « Libres de droits » ou de microstock, les diffuseurs nous vendent l’idée que le photographe peut se consacrer à la prise de vue et trouver son compte dans les volumes commercialisés, mais c’est exceptionnellement le cas ! Par ailleurs, si je reprends les chiffres délivrés dans l’interview de Guillaume le Bleis, (115 000 contributeurs qui se partagent 40 millions de dollars de rémunération), le gain annuel d’un contributeur est de 348 dollars en moyenne. Expliquez-moi comment on peut vivre avec 348 dollars par an !…

On dit souvent que les microstocks se sont des photos basiques… Qu’en conséquence les professionnels ne doivent pas en avoir peur car leur production se place au-dessus sur le plan qualitatif. Mais justement, les photos basiques, — notre deuxième choix en quelque sorte—, était notre petit pain quotidien via nos archives. Les microstocks nous soufflent cet appel d’air. Et lorsque ces diffuseurs nous disent  « vous vendrez mille fois une photo à cinq euros ce que vous n’auriez jamais vendu à 5 000 euros l’unité », j’objecte que Fotolia prend 60 % 40 %* de cette somme et empoche 3 000 euros en ne laissant que 2 000 euros au producteur de l’image ! C’est un modèle économique qui n’est pas socialement utile, il est essentiellement profitable aux diffuseurs et à leurs investisseurs.

Mais ce modèle « low cost » en photo comme ailleurs, répond pourtant aux besoins des consommateurs, son succès l’atteste ?

Fotolia est une affaire en or, mais pour qui ? On peut résumer la situation simplement : on a d’un côté des auteurs rebaptisés « contributeurs », de l’autre un dispositif très pratique pour les clients qui ne paient pas les auteurs à un prix décent provoquant une baisse généralisée du prix de la photo. Face aux arguments de Guillaume Le Bleis concernant la pertinence d’un prix en relation avec la situation du marché, je pose la question : « Quand statistiquement on assiste à une recrudescence des délits et des vols (de photos ndlr), doit-on changer le prix de vente d afin de d’éviter de se faire voler ?! »

Mais avant l’existence de ces portails, il faut bien admettre que l’on ne pouvait pas accéder facilement aux images ?

Certes, comme dans le domaine musical, l’absence d’offre légale organisée par les professionnels a permis le développement de portails par des entrepreneurs opportunistes. Les agences ont manqué d’imagination, de moyens et de volonté pour mettre en face une offre conforme à ce que nous aurions souhaité. Dans le monde professionnel l’idéologie du marchandage — et son corollaire le manque de transparence sur les prix réellement pratiqués—, a également contribué au développement d’une offre certes claire, mais qui a tué la valeur ajoutée apportée par les photographes.

Comment revenir sur cette déréglementation qui s’est finalement imposée comme une norme d’usage ?

La déréglementation, c’est une bipolarisation du marché, avec d’un côté une élite qui produit des images chères, et de l’autre des professionnels précarisés, notamment par des diffuseurs qui professionnalisent le travail des amateurs afin d’élargir leur offre à très faible coût. Cette bipolarisation est une atteinte à la diversité du marché. Or le monde a besoin de pluralisme, sauf à considérer que nous allons vers un système de type stalinien !

Nous pensons donc qu’avec le « Libre de droit », le principe de proportionnalité n’est pas respecté, donc le cœur de la loi française sur le droit d’auteur n’est pas respecté. Or le cœur de la loi est destiné à alimenter la création (et donner à manger aux photographes et à leur famille). C’est une atteinte au droit français que nous dénoncerons désormais. Il y a urgence comme le prouve la labellisation PUR** attribué à Fotolia par l’Hadopi comme plateforme légale de vente de contenus numériques ! Le déroulement des Rencontres internationales de la photographie donnera l’occasion à l’UPP* d’organiser une première action, en déclarant symboliquement le 7 juillet 2011, journée de deuil pour le droit d’auteur.

 (*) Saif : Société des Auteurs des arts visuels et de l’image Fixe.
(**) PUR : acronyme de « Promotion des Usages Responsables », label créé et attribué par l’Hadopi.
(***) UPP : Union des Photographes Professionnels.
(*) Correction introduite le 13/07/2011 à la demande de Jorge Alvarez.

1 Responses to Jorge Alvarez répond à Guillaume Le Bleis

  1. […] transmédias propres au photojournalisme » animé par Gerald Holubowicz avec la participation de Jorge Alvarez (administrateur, UPP et SAIF), Dimitri Beck (rdc de Polka magazine) Sébastien Daycard (auteur, […]

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