Haute résolution et décoration

7 juillet 2011

La photo de décoration (ici sur support "papier peint" Tetenal) oblige les photographes professionnels à savoir produire et gérer la très haute résolution. Le marché s'annonce très prometteur.

 Le fait

Le forum de la HD (ex Forum du moyen Format) a accueilli mi juin aux serres d’Auteuil à Paris, quelques 722 photographes professionnels. Ce nouveau succès marque l’intérêt croissant que porte le monde de la photographie à ces appareils après dix années de quasi « abandon » (429 ventes seulement en 2010 en hausse de 18 % selon Sipec) au profit des reflex full frame beaucoup plus économiques. Quelques jours plus tôt, à Graphitec, Tetenal, Kodak et Epson démontraient ou annonçaient la sortie prochaine de solutions d’impression très grand format, dites « papier peint » à destination du marché de la décoration. La coïncidence invite à réfléchir sur une tendance incontournable : la montée de l’hyper-résolution en photographie et la nécessaire adaptation des professionnels à ces nouveaux besoins porteurs de croissance.

Le décryptage

Si la haute qualité a toujours été l’apanage de l’activité professionnelle, celle-ci reste encore évaluée à l’aulne d’une sortie papier de taille raisonnable : 80 x 120 cm en photo plasticienne ou plus rarement 3 x 4 m en photo publicitaire. Dans ce dernier cas la distance d’observation de plusieurs mètres, voire plusieurs dizaines de mètres autorise une certaine souplesse ! Avec les images zoomables sur tablette et les impression de taille géantes sur supports « papier peint », on touche à d’autres limites : il s’agit de garantir une qualité photographique sur des dizaines, voire une centaine de m2 avec parfois les mêmes impératifs de qualité qu’un tirage de plus petit format !  Le futur dos 200 mégapixels de Hasselblad (en multishoot) répond donc à un vrai besoin. Reste un déficit de photographies très haute résolution face à ce nouveau besoin émergent… La question est si critique, que Tetenal accole à son offre de RIP Postcript Powerplotter, une base de données « Art-on-demand » (www.artondemande.eu), réunissant des fichiers d’œuvres d’art en très haute résolution (permettant à ses clients de produire des impressions très grand format en qualité photo, sans outrepasser les possibilités d’interpolation du RIP). Les photographes professionnels ont donc aujourd’hui un rôle à jouer en produisant des images hyper-résolution qui seront très recherchées par les professionnels de la décoration. Une occasion de retrouver un rôle en photo d’illustration face aux portails de photos de stocks !


Les chiffres de la photographie en France en 2010

7 juillet 2011

Chaque année, l'Observatoire des professions de l'image fait le point sur des milliers de données chiffrées afin de mieux comprendre le dynamisme et le ressort du secteur de la photographie.

L’Observatoire des professions de l’image est paru fin mai. Ce document annuel édité par l’API* que j’ai le plaisir de rédiger depuis 1998, détaille les tendances de la consommation photo en France et tente d’expliquer les phénomènes qui transforment notre secteur en mettant en valeur l’évolution des comportements les plus significatifs. Ce document de vingt pages (1,2 Mo) est téléchargeable en cliquant ici.

Retenons ici dix points essentiels :

La bonne tenue des ventes d’appareils est liée au régime d’hyper-partage qui s’est développé autour des réseaux sociaux : en 2011 le nombre de photo téléchargées sur le seul site Facebook sera équivalent à celui de l’ensemble des photos produites en 2001 dans le monde (soit 84 milliards !).

Le décloisonnement des métiers de la photo s’étend aux amateurs : leur professionnalisation est une conséquence de leur expertise numérique notamment celle développée par les digitals natives. Ce phénomène soutien le marché des équipements et accessoires professionnels.

La personnalisation devient impérative sur le marché des services. Le qualitatif chasse le volumique, avec une profitabilité supérieure. Le phénomène scelle la mort progressive du tirage 10 x 15.

• L’album personnalisé poursuit son essor (+ 16 %), mais les consommateurs/trices qui l’adoptent n’en réalisent en moyenne que 1,4 par an. L’automatisation, l’instantanéité, l’assistance et la simplification de la commande deviennent les conditions pour conforter le développement du secteur.

• Les ventes d’appareils à objectifs interchangeable restent soutenues (+15%), tandis que se multiplient les appareils photo qui « panachent » les solutions technologiques disponibles (viseur électronique, viseur mixte optique/électronique, miroir fixe, viseur optique accessoire…etc.). Cette plasticité technique autorise une segmentation foisonnante du marché. Clarifier l’offre en magasin devient un enjeu commercial majeur.

• Si la progression de 50 % du nombre de photos réalisées avec les téléphones fut un point marquant de l’année 2010, rien n’indique que cet essor contrarie l’utilisation des appareils photo qui délivrent une qualité très supérieure. Entre ubiquité et qualité les pratiquants arbitrent en experts !

• La qualité — particulièrement la qualité « cinématographique » (faible profondeur de champ)­— délivrée par les reflex qui proposent un mode vidéo HD (65% des modèles), a révolutionné les pratiques de production professionnelle. Les amateurs se sont saisis de cet outil de tournage fantastique, provoquant des effets de marché vertueux, comme l’engouement pour les focales fixes (+15 % en 2010, 44 % sur le 1er quadrimestre 2011 selon GfK) !

Le marché de la photo d’art se porte très bien. Foires et festivals se développent partout en France, avec un visitorat croissant. Si un plus grand nombre d’auteurs sont en contact avec le public, leur compétence sociale devient déterminante pour monétiser cette popularité éphémère. Le monde porte aux nues la photographie, mais ne veut rémunérer que les stars confirmées.

La photographie d’identité redevient l’affaire des photographes de proximité après trois années de bagarre et de « concurrence déloyale » de l’Etat, fustigée par les membres de l’API. L’Etat a bouclé son business avec Sagem Sécurité et Atos Origin, en tirant les fruits à l’export de cette vitrine biométrique française. Il était temps : les maires de France ne pouvaient supporter plus longtemps de voir leurs agents accaparés par cette tache supplémentaire qu’ils n’étaient d’ailleurs incapables d’assurer à 100%.

• La photographie numérique est au cœur de la société numérique en étant désormais utilisée quotidiennement par tous sans référence aux modalités d’usages de l’argentique. L’attrait pour ce médium associé au désir de performance et d’épanouissement de soi pousse un nombre croissant d’amateurs à se perfectionner au contact des professionnels, ce que le succès des stages atteste. La transmission devient donc une opportunité de business pour ces derniers, alors que la dérégulation du marché de la vente des images n’a jamais été aussi défavorable pour leurs revenus.

(*) : Association pour la Promotion de l’Image. Les données quantitatives délivrées par les fabricants via le Sipec et qualitatives recueillies par sondage chaque année pour les besoins du baromètre API/Ipsos permettent à ce document annuel de délivrer des milliers de chiffres intéressants sur le marché photo français.


Jorge Alvarez répond à Guillaume Le Bleis

7 juillet 2011

Jorge Alvarez, photographe et trésorier de la Saif réagit aux propos du directeur de Fotolia, publiés fin mars par "Décryptages"

En réponse au propos de Guillaume Le Bleis (DG de Fotolia) dont nous avions publié l’interview le 31 mars 2011, Jorge Alvarez (photographe et trésorier de la Saif*) a souhaité nous faire part de sa position concernant les photos dites « Libres de droits », au nom des photographes professionnels.

Votre hostilité aux photos dites « Libre de droits » ne cesse de grandir…

Le modèle économique du « Libre de droits » est selon moi nuisible à l’économie des photographes professionnels en profitant essentiellement aux diffuseurs au détriment du producteur d’images. Prétendre instaurer le « low cost » dans la diffusion de la photo, c’est détruire à terme le marché dans son ensemble. J’ai du mal à croire qu’il soit possible de convertir un modèle de production artisanal en modèle industriel. D’ailleurs, les unités de production industrielle de photo se comptent en France sur les doigts d’une main. Passer de force d’un modèle à l’autre porte préjudice au développement de la création.

Comment le photographe indépendant peut-il se battre ?

D’abord en affirmant sa cohésion avec les groupes professionnels chargés de défendre ses intérêts, notamment les groupements et syndicats qui soutiennent l’action que nous menons autour de l’association « Contre le libre de droits » (nom provisoire ndlr). Nous avons besoin de  l’ensemble des professionnels pour résister à cette dérégulation qui nous précarise.

Peut-on lutter contre une mondialisation qui s’impose dans tous les secteurs ?

Nous n’avons pas pour mission de renverser le cours de l’histoire. Mais faire valoir des principes légaux et de bon sens pour ne pas nous laisser laminer par des multinationales qui profitent de l’avènement de l’Internet et de la mondialisation des échanges pour détourner la législation sur le droit d’auteur à leur profit. Si comme je le pense, les photographes fonctionnent sur le mode de l’artisanat, il est nécessaire que leurs revenus leur permettent de se renouveler, d’explorer de nouveaux domaines afin d’assurer leur avenir professionnel.  Cette « R&D personnelle » était financée auparavant par la vente de photos d’archives. Mais aujourd’hui, comment peut-on rester créatifs quand on est dans une situation précaire ?

Le principe de la « longue traîne » promu par les microstocks permet justement aux photographes de mondialiser leur offre commerciale au monde entier via leurs plate-forme ?

Etre photographe ne se limite pas à la prise de vue. Il s’agit de répondre à des besoins, si possible de les anticiper, et pour cela, il  est important de pouvoir être en relation directe avec les clients afin de garantir une forte valeur ajoutée partagée. Cela passe aussi par l’indexation, le référencement… Dans les photos dites « Libres de droits » ou de microstock, les diffuseurs nous vendent l’idée que le photographe peut se consacrer à la prise de vue et trouver son compte dans les volumes commercialisés, mais c’est exceptionnellement le cas ! Par ailleurs, si je reprends les chiffres délivrés dans l’interview de Guillaume le Bleis, (115 000 contributeurs qui se partagent 40 millions de dollars de rémunération), le gain annuel d’un contributeur est de 348 dollars en moyenne. Expliquez-moi comment on peut vivre avec 348 dollars par an !…

On dit souvent que les microstocks se sont des photos basiques… Qu’en conséquence les professionnels ne doivent pas en avoir peur car leur production se place au-dessus sur le plan qualitatif. Mais justement, les photos basiques, — notre deuxième choix en quelque sorte—, était notre petit pain quotidien via nos archives. Les microstocks nous soufflent cet appel d’air. Et lorsque ces diffuseurs nous disent  « vous vendrez mille fois une photo à cinq euros ce que vous n’auriez jamais vendu à 5 000 euros l’unité », j’objecte que Fotolia prend 60 % 40 %* de cette somme et empoche 3 000 euros en ne laissant que 2 000 euros au producteur de l’image ! C’est un modèle économique qui n’est pas socialement utile, il est essentiellement profitable aux diffuseurs et à leurs investisseurs.

Mais ce modèle « low cost » en photo comme ailleurs, répond pourtant aux besoins des consommateurs, son succès l’atteste ?

Fotolia est une affaire en or, mais pour qui ? On peut résumer la situation simplement : on a d’un côté des auteurs rebaptisés « contributeurs », de l’autre un dispositif très pratique pour les clients qui ne paient pas les auteurs à un prix décent provoquant une baisse généralisée du prix de la photo. Face aux arguments de Guillaume Le Bleis concernant la pertinence d’un prix en relation avec la situation du marché, je pose la question : « Quand statistiquement on assiste à une recrudescence des délits et des vols (de photos ndlr), doit-on changer le prix de vente d afin de d’éviter de se faire voler ?! »

Mais avant l’existence de ces portails, il faut bien admettre que l’on ne pouvait pas accéder facilement aux images ?

Certes, comme dans le domaine musical, l’absence d’offre légale organisée par les professionnels a permis le développement de portails par des entrepreneurs opportunistes. Les agences ont manqué d’imagination, de moyens et de volonté pour mettre en face une offre conforme à ce que nous aurions souhaité. Dans le monde professionnel l’idéologie du marchandage — et son corollaire le manque de transparence sur les prix réellement pratiqués—, a également contribué au développement d’une offre certes claire, mais qui a tué la valeur ajoutée apportée par les photographes.

Comment revenir sur cette déréglementation qui s’est finalement imposée comme une norme d’usage ?

La déréglementation, c’est une bipolarisation du marché, avec d’un côté une élite qui produit des images chères, et de l’autre des professionnels précarisés, notamment par des diffuseurs qui professionnalisent le travail des amateurs afin d’élargir leur offre à très faible coût. Cette bipolarisation est une atteinte à la diversité du marché. Or le monde a besoin de pluralisme, sauf à considérer que nous allons vers un système de type stalinien !

Nous pensons donc qu’avec le « Libre de droit », le principe de proportionnalité n’est pas respecté, donc le cœur de la loi française sur le droit d’auteur n’est pas respecté. Or le cœur de la loi est destiné à alimenter la création (et donner à manger aux photographes et à leur famille). C’est une atteinte au droit français que nous dénoncerons désormais. Il y a urgence comme le prouve la labellisation PUR** attribué à Fotolia par l’Hadopi comme plateforme légale de vente de contenus numériques ! Le déroulement des Rencontres internationales de la photographie donnera l’occasion à l’UPP* d’organiser une première action, en déclarant symboliquement le 7 juillet 2011, journée de deuil pour le droit d’auteur.

 (*) Saif : Société des Auteurs des arts visuels et de l’image Fixe.
(**) PUR : acronyme de « Promotion des Usages Responsables », label créé et attribué par l’Hadopi.
(***) UPP : Union des Photographes Professionnels.
(*) Correction introduite le 13/07/2011 à la demande de Jorge Alvarez.